mercredi 5 décembre 2007

UNEA, La ruche

Les orientations et clarifications quotidiennes que nous apporte la lecture d'Alger rép., nous permettent de mieux appréhender notre tâche, et nous les faisons passer dans notre programme de travail à court et moyen terme. Avec le développement des structures organiques de la section, et des initiatives que prennent ces dernières, aux côtés de celles du CS et du CE, l'Union devient une véritable ruche : Pas un jour où l'une des structures de base ou de direction n'organise une réunion de travail ou d'information (sur les problèmes syndicaux : bourse ou autres, ou pour le volontariat), ou une conférence sur des problèmes politiques ou économiques généraux, ou sur des questions intéressant plus particulièrement les étudiants de telle Fac. ou de tel institut ou même amphi. (polycop. ou autres).
Ce sont des dizaines et bientôt des centaines d'étudiants qui vont activer pour s'organiser, organiser des rencontres, débattre, se faire des idées et se battre pour elles dans les différents domaines. L'UNEA, ses étudiants, ses comités, sont sur tous les fronts. Voici le comité des Étudiantes qui organise au profit des sinistrés des inondations du Sud, une soirée musicale à la salle Ibn Khaldoun avec la grande Fadila Dziriya. Elles animent à l'occasion un débat sur la participation de la femme à l'édification. Voilà les étudiants de la cité U. de Ben Aknoun qui tiennent un meeting de soutien au FNL et au peuple du Sud Viet-Nam, avec la présence active de la JFLN. Le siège du Bld Amirouche ne désemplit pas de semblables activités : un jour il voit la préparation du chantier national de volontariat pour traiter 6000 hectares à Oued Fodda, et plus tard celui pour la construction du stade de Chéragas. Un autre jour on y invite le ministre de l'économie, Bachir Boumaaza, à un débat sur la politique économique du pays, les problèmes de la commercialisation et de la spéculation qui les accompagne. Puis c'est au tour du Dr Nekkache à y être invité pour parler de "Socialisme et santé", faisant le bilan de la situation sanitaire à l'indépendance, de ce qui a été fait depuis, et traçant quelques perspectives ; conférence qui sera prolongée par celles de ses collaborateurs au ministère sur le "Service civil médical". Bientôt le CE organise un séminaire de 16 conférences programmées, d'économie politique. Bachir Boumaaza lui fait l'honneur d'en inaugurer l'ouverture. Des enseignants universitaires font de Amirouche une annexe de l'université. Le président de l'Union, Houari Mouffok, fait un discours où il préconise d'ailleurs l'ouverture de l'université aux "meilleurs des ouvriers". Alger rép. fera à l'occasion son édito sur cet événement pour saluer le sérieux et la rigueur qui le marquent, par rapport aux « démonstrations confuses multipliées depuis quelques jours », pour se différencier des expériences d'ailleurs...
Si les comités de base organisent, chacun pour ce qui concerne ses étudiants, des conférences animées par les enseignants, les Labica, H. Denis, Tiano et autres Peyréga, si le comité de Pharmacie réfléchit et débat sur les problèmes de la chimie industrielle qui concerne la branche, les sections de l'intérieur, Oran et Constantine, ou de l'étranger (Paris, Moscou,...) ne sont pas en reste. Les étudiants de Paris, par exemple, débattent avec l'économiste Fr. Perroux de la coopération... C'est d'ailleurs dans ces activités que s'enclenche une émulation, avec les initiatives d'un "Comité pour l'Algérie nouvelle", sur des sujets d'histoire ou d'économie politiques (sur al-Afghani, le socialisme algérien...). Malek Bennabi anime également des conférences à l'université (salle des Actes)... De même que Mohamed Harbi, ou Belkacem Benyahia, qui interviennent bien évidemment sur tous ces problèmes en conférences ou dans les hebdomadaires qu'ils dirigent, Révolution africaine, pour le premier et el-Moudjahid, pour le second. Plus près de l'UNEA, les étudiants militants, liés à la FGA-FLN, organisent certaines manifestations en leur nom, comme par exemple des soirées musicales de cha‛bi, ou participent avec la JFLN et leurs responsables de la FGA, aux séminaires pour la formation politique des jeunes...
(…)

Notre 6ème Congrès.

Avec l'adoption de la Charte d'Alger, l'activité de l'Union semble démultipliée. La section sollicite des conférenciers sur l'impérialisme et la crise du capitalisme et organise un concours pour auteurs dramatiques en arabe et en français. Notre président, Djelloul, participe à une table ronde sur le service civil médical. Le 1er numéro de Révolution à l'université sort à la mi-mai, au moment où la section d'Alger, réunie en AG élit ses délégués en préparation du 6ème congrès. Si pour le programme à défendre il n'y a pas de problèmes, on retrouve là encore la lutte chaude, entre communistes et militants FGA-FLN, pour la couleur des délégués qui va conditionner celle de la direction devant mettre en œuvre le programme. Et voilà que l'on reçoit une résolution alarmante de la section UNEA du Nord de la France dénonçant les positions de "certains" étudiants de Paris : ces derniers refusent de reconnaître le CE issu de la reconversion de l'UGEMA en UNEA...
Pour la Journée de l'étudiant, (en commémoration du "19 mai 56"), Amirouche, avec quelque 500 étudiants, fait la fête à Ben Bella, Boumaaza, Bouteflika, mon ami Hassan, le colonel de la wilaya 4..., et applaudit le discours du Président...
Pour ma part, si je participe à toutes ces activités, et à l'AG où je suis élu comme délégué pour le congrès, je n'oublie pas mes études, et je passe avec succès mes examens de fin de 3ème année de médecine. Mais je vois avec un petit serrement de cœur se tenir sans moi le concours d'internat, sous la houlette de nos prestigieux professeurs, les Alouache, Lebon, Ferran, Jaillet, Destaing..., où dix d'entre mes amis sont brillamment reçus. Je me dis que ce n'est que partie remise...
C'est aussi la période, je crois, où j'adhère formellement au PCA. Je dis :"je crois", car je n'arrive pas à me remémorer les choses avec précision. Cette décision n'a pas été facile pour moi. Et c'est comme si ma mémoire avait refusé d'enregistrer le fait. En me remettant dans le contexte d'alors, quel souvenir ai-je gardé ? Je viens de commettre un geste grave : à la sortie de ma première réunion de cellule – qui, dans la forme et par sa composante humaine n'a pas différé beaucoup de celle, quotidienne, du CS-UNEA–, je me fais à haute voix la réflexion suivante : “Ça y est, je suis un coco !...” Je me rends compte que je viens de prendre un tournant important dans ma vie, que je romps avec beaucoup de choses qui faisaient jusque-là partie de ma personnalité profonde, avec beaucoup d'amis et de frères de combat, avec même ma famille. Je sais que de tout ce monde-là, même mon regretté père, personne ne va me faire une remarque ou porter un jugement sur le choix que j'ai fait, mais qu'on se posera des questions sur cet écart. Pour ma part, je pense profiter du capital confiance que j'avais auprès de ceux de ma famille et des frères et amis que je m'étais faits dans la lutte de libération, pour faire – j'ai cette prétention démesurée !– avancer les mentalités autour de moi !
Je suis bien convaincu que seule la voie socialiste peut sauver la victoire de l'Algérie sur le colonialisme d'un détournement bourgeois à la tunisienne, pour rester dans notre région, ou d'une dérive monarchique à la marocaine, qui ont, chacun à sa manière, lié le sort de leur pays au néocolonialisme occidental. Voie d'ailleurs adoptée dès Tripoli par le FLN, et rencontrant des oppositions au sein de ce dernier, comme le montrent les divisions qui le déchirent. Je viens de découvrir Nazim Hikmet , et je fais mien l'argument de son engagement communiste : « Ce ne sont pas les livres, dit-il, ce n’est pas la propagande, ce n’est pas ma situation sociale, qui m’ont amené là où je suis... C’est l’Anatolie qui m’y a amené… l’Anatolie que j’ai à peine aperçue, vaguement, d’un bout... C’est mon cœur, qui m’a amené là où je suis... Et voilà tout...» L'amour de la patrie ! L'Algérie ! Voilà ce qui me fait faire ce choix. Je considère que, par l'intensité de son combat libérateur, mon peuple a mérité que son avenir soit radical. Et cette radicalité, je ne la vois que du côté du socialisme scientifique.
Les meilleurs grands esprits dans le monde avaient salué la « grande lueur à l'Est » née avec Octobre et qui est devenue, depuis la Seconde Guerre mondiale, un élément d'équilibre planétaire venu brider les appétits prédateurs de l'impérialisme occidental, et donner un horizon à la lutte des peuples pour leur libération. C'est à son ombre, en particulier, qu'est né notre mouvement national moderne, et c'est son poids dans le rapport de force mondial qui a permis à notre lutte de libération de se développer et de vaincre. C'est son empreinte qui a contribué à la radicalité de ce mouvement et à y légitimer, malgré tout, un courant influencé par son idéologie, au nom de laquelle même nombre d'Européens d'Algérie ont donné leur vie pour l'indépendance. Comme beaucoup d'autres peuples, comme Cuba et le Viet-Nam, entre autres, c'est du côté de cette expérience qui a donné corps au "spectre" dont Marx disait qu'il hantait l'Europe, que mon peuple trouve l'inspiration et le soutien pour échapper au piège de la dépendance, de l'injustice et de la misère néocoloniales…
Malgré les vicissitudes liées à l'échec colossal de cette expérience et à l'affaissement de l'URSS, ou peut-être justement à cause de ce retournement inouï, à cause de la restauration indécente, sans vergogne, d'un colonialisme plus triomphant que jamais, ne trouvant plus devant ses exigences insatiables que la seule pauvre lutte des peuples, et une opinion progressiste mondiale émiettée, j'estime que j'ai eu raison d'avoir pris cette option, et d'avoir soutenu, dans cette voie, les efforts et les acquis indéniables de mon peuple et de ses dirigeants non communistes. Et que si j'avais à refaire le choix, je n'hésiterais pas un seul instant, même en sachant le risque d'impasse. Bien évidemment avec l'effort de corriger ce que l'inexpérience n'a pas permis alors de rectifier... pour donner tout son sens à la formule juste de Ben Badis : « Le communisme est le levain du peuple.»
Je suis donc dans les rangs du parti communiste. Mon logement devient par-là même un local de réunion, et je recevrai de plus en plus les dirigeants du parti, Bachir Hadj Ali, Larbi Bouhali ou Sadek Hadjerès, pour des réunions auxquelles le plus souvent je participe avec d'autres camarades, mais qui peuvent se tenir en mon absence lorsque le sujet n'implique pas ma présence. Ces réunions s'organisent en l'absence de mon jeune frère que j'héberge et qui essaie avec sérieux de rattraper son retard et de préparer son bac au lycée Émir Abdelkader. Il est au courant de mon engagement, mais il est très discret... En prévision des exigences des évolutions de la situation politique, et notamment du congrès de l'UNEA, la direction du parti m'inscrit pour un cycle de formation politique dans une "école": c'est un premier contact avec l'éducation communiste (Ce qu'est un parti communiste et sa doctrine, ce que sont ses objectifs, ses moyens d'action...), éducation dont je suivrai les développements plus approfondis dans des écoles plus conformes à ce nom, réunies, en Algérie, puis en France, et plus tard dans des pays socialistes...
Puis vient le congrès, en ce début d'août 64, en couronnement de toute cette activité foisonnante, dont Alger rép. publie un bilan depuis le 5ème congrès, sous le titre : « Forgée par les décrets de Mars, notre unité se consolidera autour de la Charte d'Alger ». B. Khalfa, dans un édito du numéro suivant, revient sur ce bilan, en soulignant son caractère positif manifeste dans la conscience plus élevée des étudiants et leur plus grande participation dans l'activité de l'Union, au service de l'édification du pays.
La séance inaugurale a lieu à la salle Ibn Khaldoun, honorée par la présence de Ben Alla, président de l'Assemblée nationale, qui appelle à l'application conséquente des décisions du congrès du FLN ; de Hocine Zahouane de la Commission d'orientation du BP-FLN, qui souhaite que le congrès de l'Union apporte une nouvelle pierre à l'édification du socialisme ; et de Chérif Belkacem, qui attribue la note d'optimisme qui se dégage au fait qu'« il y a six mois nous avons pris la décision que l'Université redevienne algérienne ». H. Mouffok, réaffirme que notre organisation est au service de la nation... Nous avions espéré la présence de Ben Bella, mais ce dernier tenait meeting à ‛Annaba encore sous le choc du drame du port, qu'il a lié à la question du pétrole... puis clôturait une conférence de l'UNFA (Union des femmes)...
En fait, cette absence est politique. C'est une pression sur le déroulement du congrès dont les travaux sont marqués par une très grande tension entre les deux tendances, communiste et FGA-FLN. Le congrès va traîner en longueur, achopper sur chaque point de l'ordre du jour : d'abord sur la validation des différentes délégations. Bien évidemment, la représentativité de celle de Paris a beaucoup retenu l'attention. Elle a fait l'objet de débats serrés, d'un haut niveau, contradictoires, harassants, où les délégués de Paris ont montré une combativité inouïe qui n'a pas rencontré que de l'inimitié dans la salle. Mais, vu leur hostilité notoire à la Charte d'Alger, ils n'ont pas pu éviter la sanction : en dehors de leurs 5 voix, leurs soutiens – qui étaient au nombre de 21 – n'ont pu que s'abstenir devant la décision d'exclure les "Parisiens" du congrès et de l'Union, votée par 84 délégués !
Quand je me remémore cet épisode de la vie d'une organisation dont je continue d'être aussi fier du rôle qu'elle a tenu dans la vie du pays que de celui de son aînée, l'UGEMA, je ne peux que réfléchir sur les ressorts idéologiques qui amènent des démocrates authentiques à faire preuve de la pire des fermetures antidémocratiques. Assurément, l'égide du «M» (UGEMA), hier, tout en ne le cédant en rien au plan de la radicalité révolutionnaire, a été infiniment plus large que celle de l'idéologie communiste que nous voulions alors imposer au mouvement étudiant. C'est également la même étroitesse "révolutionnaire" de la ligne de l'UNEA par rapport à celle du «M» qui nous pousse à exclure du congrès, et à rompre les relations de coopération et d'amitié avec la délégation de l'USNSA (Étudiants américains), invitée comme d'autres organisations amies traditionnelles du mouvement étudiant algérien, mais rendue responsable des positions agressives du gouvernement américain, notamment au Viet-Nam . Le paradoxe qui semble apparaître dans ce parallèle n'est qu'apparent, d'autant que cette étroitesse, nous en avons fait preuve non dans une organisation partisane, mais dans une association syndicale qui, comme l'indique son épithète, réunit des partenaires sur la base de leurs intérêts matériels et moraux et non sur des bases idéologiques. Nous avons cru pouvoir éliminer de notre syndicat un courant qui ne pouvait, vu l'option monopartite du régime, s'organiser à part. Aussi continua-t-il à s'exprimer normalement dans le large espace nationaliste que nous essayions d'épurer, peut-être en accord avec les orientations de la Charte d'Alger, mais – nous ne pouvions théoriquement le comprendre alors –, en violation profonde des besoins de notre mouvement étudiant et, au-delà de lui, de l'édification nationale. J'aurai sans doute l'occasion de revenir sur ce sujet.
Cet épisode marque la domination de notre groupe, malgré la résistance de l'autre courant qui fait se prolonger le congrès beaucoup plus que prévu. Cet ascendant que nous avons pris continue de se manifester lors de la discussion et de l'adoption du rapport moral de la direction sortante qui insiste pour « bannir tout ce qui peut affaiblir les rangs socialistes », puis lors de l'élection d'un des nôtres, Djelloul Naceur, à la présidence du congrès, puis lors du débat sur le rapport de politique générale et de son adoption, à l'occasion de quoi Ch. Belkacem déclare qu'il se fera « le défenseur du programme syndical de l'Union » venu dans le rapport, et dont il dit qu'il est empreint d'un esprit de maturité remarquable.
Quant à la résistance, elle s'exprime non seulement à travers l'âpreté des débats dans une ambiance tendue, électrisée, mais aussi par "l'enlèvement" de Djelloul par des policiers en civil, à la suite de quoi le congrès suspend ses travaux et se déclare en grève jusqu'à la libération de son président. Cette appréciation quelque peu alarmiste de l'affaire est due à la façon un peu cavalière dont les autorités ont mené les choses, en voulant camoufler cette "convocation" derrière le prétexte d'un tract subversif qui aurait été diffusé la veille à la cité U. de Ben Aknoun où se tenaient les travaux, et dont on voulait, a-t-on prétendu, éclairer avec Djelloul les tenants et aboutissants . En réalité, et ce dernier dédramatise l'histoire quand il reparaît après une longue journée d'absence, il a "conféré" avec ses vis-à-vis autour d'accommodements organiques entre communistes et FGA-FLN.
Mais nous nous sentons, en tant que défenseurs conséquents des principes de la Charte d'Alger, forts de notre supériorité numérique et de la légitimité de notre position. Nous sommes forts aussi du télégramme par lequel Ho Chi Minh en personne a répondu au message de soutien que lui avait envoyé le congrès, la veille, suite à une attaque particulièrement destructrice de l'aviation US sur les villes et ports du Nord Viet-Nam, et à la manifestation que le congrès dans son ensemble est descendu faire devant l'ambassade américaine, aux cris de Paix et Liberté au Viet-Nam ! Et B. Khalfa ne nous encourage-t-il pas dans cette fermeté par son édito dans Alger rép. du lendemain de "l'enlèvement", où il dit qu'« il faut faire confiance aux étudiants, bannir le paternalisme et l'autoritarisme à leur égard et les laisser régler démocratiquement leurs problèmes sur la base des orientations du congrès du FLN et du programme de l'UNEA » ?

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