mercredi 5 décembre 2007

Le M de l'UGEMA

Me voilà donc revenu à ce mouvement au sein duquel j'avais connu des moments exaltants.
Je rappelle qu'il s'était construit à la suite de débats idéologiques sérieux, qui ont eu lieu lors de cette fameuse "bataille du « M »", quelques mois avant que je ne devienne membre de l'Union.
Pourquoi cette "bataille", pourrait-on s'interroger ?
Revenons un peu plus haut dans le temps.
L’Association des Étudiants Musulmans d’Afrique du Nord (AEMAN) a été la première forme d’organisation des étudiants algériens, dont l’idée avait germé vers 1920, quand des Maghrébins ont commencé de fréquenter des universités françaises... Elle avait des sections dans les différentes villes universitaires de France hébergeant des étudiants maghrébins, et à Paris, son bureau au 115, Bld Saint-Michel, s’ornait des trois portraits des leaders maghrébins, Allal el-Fâsî, Messali Hadj et Habib Bourguiba. Ceci pour dire quelle était la tendance qui animait les étudiants algériens organisés dans l’AEMAN. La section d’Alger de l’AEMAN, portant le nom d’AEMNA (Association des Étudiants Musulmans Nord-Africains), a regroupé les étudiants maghrébins, jusqu’à la formation des Unions nationales au Maroc (UNEM) et en Tunisie (UGET). En 1954, à Alger, il y avait encore un bureau de l’AEMNA, cohabitant avec l’AGEA (Association générale des Étudiants d’Alger), qui, elle, dépendait de l’UNEF et dont, nous, "musulmans", faisions d’office partie...
Entre-temps, l’idée nationale mûrissait à travers les luttes intenses entre l’administration coloniale et le mouvement national dans son ensemble, ainsi qu’au sein du mouvement, entre ses différentes composantes. Novembre 54 marquait la victoire définitive de l’idée de la nation algérienne indépendante de la France. Il n’en reste pas moins qu’il faudra plus de sept ans et demi d'une guerre inégale pour réaliser cette idée.
Au niveau du mouvement étudiant, l’idée de nation indépendante est venue dans un texte publié en date du 27 février 1955 par le bureau d’Alger de l’AEMNA, et portant projet de création d’une union estudiantine nationale, sous le nom d’Union générale des Étudiants Musulmans Algériens (UGEMA). Lors de la Conférence préparatoire du Congrès constitutif de l’Union, tenue à Paris du 4 au 7 avril 55, les deux conceptions de la nation se sont affrontées. C’est ce qu’on a appelé la bataille du « M ».
Novembre avait évidemment changé la donne. Il faisait que la question se posait dorénavant ainsi : oui la nation devra être indépendante, et ce sera "une république démocratique et sociale, dans le cadre des principes islamiques" ; ce à quoi s’est opposée une autre vision : ce doit être une république démocratique et sociale, simplement, sans y ajouter l’élément islamique qui la contredit pour ses références à une époque révolue. D’autant, ajoutait-on, que le mouvement étudiant, pour ce qui le concerne, doit pouvoir attirer à lui tous les étudiants, musulmans ou non, favorables à l’indépendance, et que les étudiants marocains et tunisiens n’avaient pas jugé utile d’ajouter le terme "musulman" pour caractériser leurs organisations...
C’était l’idée de nation indépendante, mais amputée de toute sa profondeur civilisationnelle historique. C’était la fameuse thèse de "la nation en formation", ou de simple résultat de la colonisation, qui revenait, adaptée à la situation nouvelle créée par Novembre. Mais la tendance "novembriste" a prévalu... et a fait la grandeur de l’UGEMA. Et contrairement aux craintes suscitées par l’identité musulmane qu’elle s’est ainsi donnée, l'organisation s’est révélée assez large pour accueillir tous les étudiants favorables à l’indépendance – y compris des "Européens" communistes.
Bien plus, l’UGEMA a conquis des sympathies auprès de toutes les organisations étudiantes à travers le monde, et particulièrement en France et dans le monde occidental et impérialiste. Patronnée dans son choix identitaire par Novembre, l’UGEMA a été, auprès de la jeunesse mondiale, un des visages les plus attachants de la Révolution algérienne. Avec une telle jeunesse, si fière de son identité, si ferme à la défendre, et si ouverte aux autres jeunes du monde, la Révolution a pu gagner la sympathie de ces derniers à la justesse de sa cause, et les convaincre de la légitimité du djihad qui se menait en Algérie et du moudjahid qui le menait... J'ai donc milité dans l'UGEMA avec enthousiasme, tout à fait d'accord avec ce « M ».
L'indépendance acquise, ce qui était plus important pour moi, dans le climat conflictuel au sein de la direction de la révolution, c'était que fût affirmé le principe d'autonomie de l'organisation étudiante par rapport à ces divisions. Je ne voyais pas de danger dans la suppression du « M ». Je pensais que l'acquis des caractéristiques civilisationnelles de notre société s'était irréversiblement imposé. Les développements de la vie politique nationale montreront malheureusement que tel n'était pas le cas. J'aurai l'occasion d'y revenir...

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