mercredi 5 décembre 2007

L'UNEA : une UGEMA sans le M ?

Lorsque, après les examens universitaires, se profilera à l’horizon le congrès de l’Ugema, je serai approché par des amis que j’appréciais et que j’estime encore beaucoup, pour me convaincre d’y participer “dans le but d’empêcher les communistes de s’emparer du mouvement étudiant”. Je fais savoir que je serais en peine d’être l’émule des mili­tants qui ont activé depuis un an dans les rangs de l’organisation pour la sortir du marasme où elle se trou­vait, alors que je n’y avais pas mis les pieds ; qu’il me serait difficile d’assister au Congrès et d’y convaincre des militants ou de les attirer vers moi, alors que je n’ai même pas pris ma carte Ugema de cette année. On tente de calmer mes scrupules : Concer­nant ta participation au Congrès, me dit-on, ta qualité d’ancien militant de l’Union en justifie la légitimité, qui sera renforcée par un ordre de mission du Bp. J’affirme mon désaccord avec de telles méthodes[1] qui peuvent ne pas être comprises par les militants sincères et qui risquent même de susciter chez eux du désarroi, et je dis que si j’avais été convaincu de la justesse de cette mis­sion, j’aurais milité dans les rangs de l’Union pour être dans les mêmes conditions de légitimité que les étudiants communistes que j’aurais eu à concurrencer et combattre. L’affaire en est restée là et je suis retourné à mes études...
Le 5ème Congrès de l’Ugema se réunit finalement à la mi-août. Il aboutit à la suppression du « M » et à la création de l’Unea avec la concrétisation de l’autonomie de l’organisation par rapport au pouvoir et au Fln. De ma distante retraite hospitalière, je suis satisfait de cet “acquis”. J’étais loin de me douter que ce sentiment de satisfaction allait m’amener, presque sans que je ne m’en aperçoive, à me plonger de nouveau entièrement dans l’engagement et l’action politiques. Je n’allais pas tarder à m’apercevoir, en effet, qu’un bras de fer était engagé, et pour longtemps, entre d'un côté, les animateurs de l’Unea, derrière lesquels se tenait le Pca, et de l'autre, le pouvoir d’État et le Fln. Mais je n'en continue pas moins à m'occuper essentiellement de mes études et de mes examens... et je n'accorde pas d'importance à l'appel de la direction de la nouvelle organisation estudiantine à voter oui pour la Constitution. Ma voix ne fait pas partie des 98 % qui ont adopté cette dernière... ni des 95% qui ont porté Ben Bella à la présidence de la République... Dans l'agitation politique, je retiens surtout les divisions entre ce dernier et ses anciens compagnons et leur opposition à tout ce qu'il fait. Mais le plus préoccupant, c'est la dissidence de Kabylie animée par Aït Ahmed et Mohand Oulhadj, le dernier chef de la Wilaya III historique et confirmé comme chef de la Région militaire, comprenant la Kabylie, de l'Anp...
Et déjà c'est la rentrée et les nouvelles perspectives que je me trace : faire encore une bonne troisième année, tout en préparant le concours d'internat. Cependant qu'aux troubles de la Kabylie – qui font des victimes parmi les anciens de la guerre de libération !– viennent s'ajouter des bruits de bottes à la frontière avec le Maroc.
La guerre éclate, en effet, avec le Maroc, en ce mois d'octobre 63, sans doute avec l'idée, de la part des Marocains, qu'ils pourraient profiter de nos difficultés en Kabylie. Pour ma part, je suis touché par le "hagrouna !" lancé par Ben Bella, d'autant que des contacts officiels ont lieu entre responsables de haut niveau, et qu'on prévoit une rencontre au sommet après la mi-octobre. Mais déjà, moins d'une semaine auparavant, a lieu un premier heurt à la frontière avec mort d'hommes. Ce qui densifie les efforts politiques pour maîtriser les débordements prévisibles de la confrontation militaire... Cependant, l'agression se confirme, avec une attaque en force par terre et par les airs. Il s'ensuit un appel à la mobilisation générale... et une première décantation en conséquence dans la crise kabyle qui dure dangereusement : Mohand Oulhadj annonce qu'il se met à la disposition de l'Anp pour défendre le pays contre l'agression. Sans doute avait agi dans ce sens la dénonciation par Ben Bella des "actes criminels du Gpra, [du] rôle néfaste joué par Boudiaf, Aït Ahmed et les patrons du Gpra au congrès de Tripoli, y compris contre ma sécurité personnelle". Mais moi, cette dénonciation m'avait laissé une pénible impression, augmentant encore plus mon incompréhension face à ces divisions du nationalisme.
C'est pourquoi, même si je suis avec intérêt et sympathie le développement du volontariat auquel appellent le parti et les organisations de masse (Unea, Ugta), pour aller renforcer nos troupes à la frontière, je ne me sens pas concerné par ce mouvement, estimant que j'en faisais assez par mon volontariat à l'hôpital, y compris pour combler le vide provisoire que laissaient les médecins qui s'engageaient à rejoindre les lieux du combat. Dans notre service d'ailleurs, le Pr Illoul a été parmi les premiers volontaires, et a failli être pris ou tué, lorsque les Marocains ont encerclé le petit groupe avec lequel il se trouvait. Mon ami M. du service, qui l'a accompagné, nous racontera à leur retour, le petit accrochage que notre professeur moudjahid a eu avec un jeune lieutenant de l'Anp là-bas. Ayant terminé sa période de 15 jours de mobilisation volontaire, il se préparait pour rentrer et rejoindre son poste au service. Et voilà que le lieutenant, devant ce médecin qui ne joue jamais au “m'as-tu vu”, l'apostrophe avec une familiarité goguenarde qui n'était pas de mise pour la circonstance, en lui disant : « Alors, professeur, on a fini sa petite ballade et on rentre ! » Il ne s'attendait pas à la réaction aussi vive que ferme à laquelle, prenant conscience de sa gaffe, il s'est dépêché d'obtempérer. « Ghabbak ! (pour “Rabbak”, Illoul a un petit défaut de langue et ne roule pas les «R» arabes) mets-toi au garde-à-vous à 15 pas pour me parler ! Tu as affaire à un officier de l'Aln! »...
Cette atmosphère de mobilisation patriotique où se mêlent les problèmes tenant à l'agression de nos voisins marocains, les préoccupations liées à la dissidence kabyle, les autres luttes au sommet accompagnant la mise en place des institutions et ce qu'on appelait la construction du socialisme, tout cela suscite en moi des effets contradictoires et un regain d'intérêt pour la chose politique. J’en discute plus souvent autour de moi, notamment avec mon ami J.-P. D., dont j’écoute plus volontiers les commentaires et les arguments qu’il re­prend d’Alger ré­publicain en m’encourageant à le lire plus attentivement. La fréquentation de ce journal va jouer un rôle important dans la suite de mon évolution…

[1] Nous en avions eu à souffrir, de ces méthodes, à Bruxelles en tant que section de l’UGEMA de la part de la Fédération de France du FLN, comme je l’ai relaté dans mon livre précédent Ce Pays est le nôtre.

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