mercredi 5 décembre 2007

Bachir, Harbi et Zahouane entre les mains de la police

Mais voilà que nous parvient la terrible nouvelle, confirmant les inquiétudes de Djamel. Un grand coup de filet a été réussi par la police, dans lequel sont tombés Bachir, Harbi et Zahouane, et beaucoup d'autres camarades. Les services n'y vont pas de main morte, et il y a intérêt à avoir de quoi se défendre, me confie Djelloul.
Un "septembre noir" que confirme vite une "Tribune libre" diffusée par Le Monde, titrée Défense des Pieds-Rouges. Ce quotidien s'inquiète de l'arrestation de gens qui ont mis leurs compétences au service de l'Algérie. Comme il ne parvient pas à Alger, c'est par la réponse d'el-Moudjahid que l'on en prend connaissance : Nous n'avons besoin, dit-il, que de compétence technique, pas politique ni idéologique... Cette première confirmation est suivie quelques jours après, par une critique moins retenue vis-à-vis de l'Humanité dont la campagne de dénonciation du coup d'État et de répercussion de nos positions fait beaucoup de tort au pouvoir usurpateur.
Une véritable opération de déstabilisation de l'opposition est entreprise par la presse officielle à coups d'éditos, de billets, tous anonymes, parlant de démantèlement « d'une prétendue opposition révolutionnaire », noyautée par des « coopérants et aventuriers » ; des « étrangers irresponsables » dont s'était entouré le régime déchu et qui voulaient détourner la Révolution algérienne à leur profit. Voilà déjoués ces « agissements inavoués », dont, avec ironie, « on se demande comment des Algériens s'y sont laissés avoir à ce point ». Ce procès suscite l'intervention du journal Le Monde, qui parle de « climat anticommuniste passionnel » où « l'on craint de ne plus discerner bientôt où s'arrête la liberté d'opinion et où commence la collusion avec l'opposition », et de l'AFP, inquiète « des conditions de détention dont auraient été victimes les détenus ». C'est du moins ce que l'on apprend là encore par des réponses d'el-Moudjahid, qui s'adonne à une furieuse campagne anticommuniste : des attaques dont l'un des résultats quasi immédiats est qu'enfin, une douzaine de dirigeants de l'UNEA s'enhardissent à signer – ou s'y voient obligés – une déclaration prenant acte de la carence du CE causée par l'« absence continue et délibérée » de certains de ses membres ; ce qui, disent-ils, gèle l'activité de l'outil de défense des intérêts des étudiants. La diatribe nous vise, nous qui nous sommes mis en clandestinité, et ses auteurs se prétendent « en mesure de justifier [leur] action auprès de tous les étudiants algériens, seuls habilités à juger et orienter les militants qu'ils ont élus à la direction de l'union ». Mais là, ils s'avancent un peu trop à la légère. Car, outre le manque d'ardeur et de conviction pour cette tâche chez nombre d'entre eux, ils n'auront pas l'influence qu'ils croient avoir auprès des étudiants, aux yeux de qui ils apparaissent comme brûlant aujourd'hui ce qu'ils ont adoré hier.
Je suis, pour ma part, perturbé et scandalisé par cette haine anticommuniste qui dégouline des colonnes d'el-Moudjahid. On y parle de mouvement démantelé « qui ne vivait que d'un apport humain et doctrinaire étranger », et en même temps on dit que son “cerveau” est « composé du PCA, de Harbi, Zahouane...» Ce qui veut dire, si on ne va pas jusqu'à nier l'algérianité de ces deux derniers, que c'est au niveau du PCA que se situent les « aventuriers étrangers », « pour lesquels la cause révolutionnaire de l'Algérie n'a jamais été une fin en soi, mais seulement le moyen d'établir le régime de leurs rêves...» À vrai dire, parmi la liste que donne le journal des seize Européens arrêtés, dont six ont la nationalité algérienne, il n'est pas un seul qui ait des prétentions “doctrinaires”...
Très vite, c'est le PCA et Bachir Hadj Ali qui sont pris pour cibles : on expose leur histoire, toute dédiée au colonialisme, dit-on. Et pour en faciliter la compréhension, on la traduit par une infecte bande dessinée traçant les "métamorphoses du PCA" (el-Moudjahid – 28 septembre). Je ne veux pas blesser les sentiments de mes lecteurs en reproduisant le contenu de cette bande scélérate qui marque, ce jour-là, le beau nom de Moudjahid d'une souillure durable.
On peut beaucoup reprocher à ce parti au cours de son compagnonnage, heurté mais souvent mutuellement avantageux, avec les autres courants d'un mouvement national qui a dû suivre lui-même un cheminement complexe pour s'affirmer et finalement conduire la lutte de libération. Mais on ne peut réduire l'histoire du PCA à cette caricature qui constitue une insulte à nos chouhada. Car, qu'on le veuille ou non, Ahmed Inal, Tahar Ghomri, Raymonde Peychard, Maurice Audin, Fernand Iveton, le Dr Counillon et de nombreux autres – qui ont reçu leur éducation politique dans les rangs du PCA – font partie intégrante de cette illustre cohorte dont le sacrifice suprême fait l'orgueil de la nation. Comme leurs frères de combat, ces camarades sont tombés au champ d'honneur ouvert par Novembre : ils l'ont fait au nom de la raison nationale posée par le FLN-ALN, mais aussi de leurs convictions idéologiques propres, forgées dans leur PCA, et leur geste constitue la plus radicale des autocritiques et des rectifications concernant la politique nationale de ce parti. C'est d'ailleurs l'atout avec lequel celui-ci s'est légitimement placé parmi les forces qui, à l'indépendance, ont présenté à la jeunesse leur vision d'une Algérie conforme à leurs « rêves ». Des rêves, en ce qui le concerne, aussi légitimes que ceux de nos amis vietnamiens et cubains, qu'on ne peut accuser de défendre d'autres patries, socialistes, que les leurs.
Des rêves d'autant plus légitimes que le FLN a inclus dans son programme, à Tripoli, le socialisme, jusque-là défendu par le seul PCA. Il était donc normal que ce dernier craignît une édulcoration de cet élément central de son programme et le défendît . D'autant que les luttes dans la direction du FLN semblent s'être nouées autour des réticences concernant cette orientation, conçue chez les plus convaincus, au mieux comme simple moyen de conjurer une orientation néocolonialiste, déjà à l'œuvre chez nos voisins depuis leur libération…

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