mercredi 5 décembre 2007

Le PCA, Alger rép. et le FLN

...Car, comme pour les autorités coloniales, hier, Alger rép. n'est, pour les nationalistes vainqueurs du colonialisme, que le paravent du Pca. Ils voient que l'interdiction de ce dernier et de son organe central n'a pas endigué les progrès de l'influence des idées qu'il défend, notamment chez les jeunes. S'exprime donc chez ces nationalistes une volonté, pour certains, franchement anticommunistes, de faire taire le journal, pour d'autres, plus ouverts, de le maîtriser pour le moins, de le faire rentrer dans les rangs. Et c'est lui-même, par la logique même de sa ligne éditoriale, qui va leur en donner l'occasion.
En effet, les efforts qu'il déploie pour l'unité des forces révolutionnaires et l'émergence d'un véritable parti d'avant-garde du socialisme, pour la mise en œuvre du Programme de Tripoli, le mènent à défendre l'idée du parti unique venue dans ce programme. Mais il estime que ce parti unique doit se constituer à la manière cubaine. L'exemple cubain, les nationalistes s'y réfèrent également, qui l'opposent au Pca, parce qu'ils y voient que les communistes cubains ont dû se mettre sous l'autorité de Castro, et exigent de lui qu'il fasse de même avec le Fln. Alger rép. défend plutôt le processus et les bases socialistes d'unification démocratique des différentes forces révolutionnaires qui ont réussi à la révolution cubaine. Dans un souci unitaire de rapprochement des deux façons de voir, il publie, de novembre à décembre 63, sur 26 numéros, une longue étude théorique sur ces questions, L'Algérie en marche vers le socialisme. Il la présente comme une contribution à la préparation du 1er congrès du Fln.
À l'occasion de cet important événement, Alger rép. sort un numéro spécial (16 avril 64), centré sur l'espoir « de codification dans les textes de la marche en avant vers le socialisme, de clarification idéologique, d'adoption d'un nouveau programme correspondant à la nouvelle étape de révolution socialiste, et de création, pour l'accomplissement de ces tâches, de l'outil indispensable, le parti d'avant-garde » (édito). À ces assises, Ben Bella invite A. Benzine « à titre individuel » et de moudjahid. Mais il est clair que la personnalité de « l'invité » ne s'arrête pas à ces titres : il est là parce qu'il est aussi dirigeant communiste et membre du collectif de direction d'Alger rép., et que l'existence de ce dernier est en jeu. On suggère à Benzine qu'Alger rép. devienne un autre organe du Fln. Ben Bella rassure ; à ceux qui exigent sa suppression, il dit : « il dépendra du Bp », et « il n'y aura rien de changé », affirme-t-il pour les dirigeants du journal. Ceux-ci ont bien quelques craintes, mais ils s'aperçoivent que refuser équivaudrait à créer un conflit ouvert et finalement se condamner au silence... Aussi, acceptent-ils cette proposition comme « un honneur et une responsabilité » (édito. 19-20 avril), avant d'être confrontés à une autre décision : Alger rép. doit fusionner avec Le Peuple, pour former el-Moudjahid, à partir du 21 juin.
C'est à H. Zahouane, directeur de la commission d'Orientation issue du congrès qu’il revient de mettre en œuvre cette décision, à travers des commissions mixtes regroupant les deux équipes. À l'issue des travaux, dans une réunion commune des deux groupes, il donne la composition de la direction du futur journal : A. Benhamida, directeur ; B. Khalfa, directeur administratif (et non, comme convenu, co-directeur à égalité de prérogatives avec le premier) ; A. Benzine, réd.-chef ; J. Salort, administrateur adjoint. W. Sportisse et H. Alleg ne sont pas retenus dans l'équipe. Puis la séance est levée sans discussion...
Toute cette construction est renversée en même temps que le président Ben Bella, trois semaines avant la date prévue pour la fusion. Le dernier numéro d'Alger rép. de cette époque est saisi dans la nuit du 18 au 19 juin à l'imprimerie, et ses locaux sont occupés par l'armée.
Alger rép., ce journal pas comme les autres, cesse, pour la troisième fois, de paraître...
Faisant un bilan de cette expérience près d'un quart de siècle plus tard, les auteurs de La grande aventure d'Alger républicain, sont très amers et très critiques. Ils estiment qu'Alger rép., avant même l'issue du congrès d'avril 64 du Fln, a été « corseté par son propre choix »[1] et que le cadre contraignant dans lequel il s'est inséré l'a mené à pratiquer une autocensure et un conformisme durement ressentis par les lecteurs, et qui l'ont appauvri et privé de ces qualités qui le distinguaient entre tous. Déjà, font-ils remarquer, « tout en éclairant ces graves défauts (antidémocratisme, autoritarisme, contrainte exercée sur les masses) et, par conséquent, en luttant pour les éliminer, Alger rép. paradoxalement, apporte son appui à ceux qui, à la tête de l'État, les encouragent par leur propre façon de gouverner très peu démocratique...» Particulièrement à Ben Bella que le journal traite de façon « à créer un certain mythe, le grandissant chaque jour et le faisant apparaître aux yeux des Algériens et des étrangers comme celui autour de qui tout s'ordonne, qui, mieux que tous, incarne la Révolution (...) Et sous le flot des couleurs somptueuses dont on pare cette Algérie qu'on voudrait, on perd peu à peu contact avec l'Algérie réelle.»
Dans cette douloureuse expérience à la tête de leur journal, nos trois auteurs ont vu, « sous une forme camouflée, la même très ancienne volonté de le réduire au silence.» Ils attribuent ce tour fatal des choses à l'analyse politique erronée du Pca qui s'est imposée au journal, à la veille du congrès du Fln. Le parti jugeait, alors, la situation mûre pour l'unification des forces révolutionnaires. Mais, pour eux, « en dépit des progrès réalisés, du rapprochement des éléments révolutionnaires, la situation, contrairement à ce que certains, aveuglés par leur souci unitaire, veulent croire, n'(était) ni aussi claire ni aussi "mûre" qu'on le dit...»
Curieuse auto-(?)-critique que voilà, puisque tous les trois étaient des dirigeants autant du journal que du Parti. Mais, qui sont ces « certains, aveuglés par leur souci unitaire...»? L'on n'ose pas voir là un remake, même discret, de l'affaire Ouzeggane, dans l'après-mai 45, où ce responsable a été le bouc émissaire tout trouvé d'une erreur politique collectivement élaborée et commise.
Mais pour revenir à notre propos, l'erreur, si erreur il y avait, était-elle dans cette politique unitaire avec un mouvement nationaliste qui avait adopté le socialisme ? Cette sorte de cul-de-sac dans lequel s'est trouvé le journal ne rappelle-t-il pas celui où se trouvait le mouvement national lui-même à la veille de la guerre de libération ? Sauf qu'ici, il n'y a pas eu, il ne pouvait y avoir d'équivalent de Novembre 54 pour sortir de l'impasse...

[1] La Grande aventure d'Alger républicain, Op. cit., p.245 sq.

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